
27 mars 2020
A quoi faut-il s’attendre dans les prochains jours. Que faut-il faire ?
Joseph Grenny a rédigé cet article, ‘A quoi faut-il s’attendre dans les prochains jours. Que faut-il faire’ le 22 mars 2020, en réaction à la crise sanitaire que le monde connaît aujourd’hui. Il s’adresse principalement aux américains, en leur soumettant des hypothèses et en analysant les comportements et réactions possibles face à cette situation.
Cet article, placé dans son contexte, est intelligemment écrit, il surprend, il étonne, il dérange, il nous oblige à ne pas nous voiler la face … il prête à polémique. Mais qui n’aime pas un bon débat ? Chacun peut en lire ce qu’il souhaite, chaque personne, avec ses sensibilités, ses interprétations, ses ressentis propres, va pouvoir en tirer ce qu’il en veut. Est-ce la fin du monde ? Est-ce le début d’un nouveau monde ? Est-ce que rien ne va changer ? À vous de voir …
J’avance une théorie pour les mois à venir. Ces pronostics ne représentent pas forcément la manière dont le monde devrait être. Ils reflètent simplement un point de vue raisonnable, des sciences sociales, sur la manière dont le monde est. En gardant en tête le chemin probable que va prendre le virus, et les tendances prévisibles du comportement humain, je m’attends à ce que nous passions par les phases suivantes.
1. Le déni (Janvier-Mars 2020).
Quand c’était juste un “problème chinois”, nous nous leurrions en pensant que c’était le SRAS II. Ce ne serait qu’un problème asiatique. Nous étions confiants qu’un groupe de personnes intelligentes l’empêcherait de nous toucher. Quand cela a affecté l’Iran, c’était toujours un “problème étranger”. Quand cela a touché l’Italie puis des villes aux Etats-Unis, certains ont réalisé qu’être dans le déni équivaut à être dans une illusion. Quelques politiques ont commencé à prendre des mesures. Mais c’était des demi-mesures, des mesures timides. Cependant aujourd’hui, le Président, les gouverneurs et les maires tentent de mettre en place des politiques de confinement plus strictes. Les dernières personnes dans le déni se trouvent à la plage en Floride, à faire des choses futiles alors que le monde brûle.
2. Le confinement (Mi-Mars à Mai 2020).
La plupart des gens aujourd’hui ont accepté une certaine logique de “confinement”. Nous sommes prêts à suspendre les activités dans notre vie, si cela va permettre de faire “baisser la courbe”. Ceci ne durera pas longtemps aux Etats-Unis pour plusieurs raisons :
A. Un malentendu
La plupart des gens pensent que pour faire baisser la courbe il faut éviter les autres pendant plusieurs semaines ce qui va radicalement faire baisser le nombre total de personnes contaminées ou décédées. Ils sont prêts à accepter une Ère de dépression et de chômage élevé, à condition que la période de sacrifice soit courte. La seule conséquence certaine d’une courbe basse n’est pas qu’il y aura moins de gens contaminé, mais qu’ils mettront plus de temps à être contaminé. Le but étant d’échelonner le nombre de patients gravement atteints sur une longue période de temps pour que le système de santé soit capable de les traiter. Pour que cela fonctionne, nous devrions suspendre toute vie économique et sociale pendant un an, ou plus. Quand les gens vont réaliser ce malentendu, leur volonté de faire cela pendant un an ou plus va fondre, nous amenant à la phase trois.
B. Un comptage erroné
Les médias ont créé la configuration parfaite pour donner un autre coup à la motivation. Les gens ne continuent à fournir un effort soutenu que s’ils voient une preuve irréfutable et que cela produit un résultat positif. Par exemple, vous continuez à suivre votre régime si votre balance indique une perte de poids effective. Malheureusement, les médias vous font croire que votre poids aujourd’hui est celui que vous aviez au lycée. Ils donnent quotidiennement un nombre de gens contaminés qui est sans aucun doute bien plus bas que la réalité. Il y a un manque de sincérité quand ils annoncent que leur comptage quotidien est le “nombre total de cas”. Ils ne font pas la distinction entre les contaminés qui sont reportés et les contaminés qui le sont vraiment. Les tests se font de plus en plus et ce nombre va grimper à un rythme effréné. Ceci apparaîtra comme étant de “mauvaises nouvelles”. Vous ne mangez rien d’autre que du chou et de l’eau et pourtant vous prenez du poids. Une fois qu’il n’y aura plus de séries à regarder sur Netflix, les gens vont désespérer, leurs sacrifices ne sont pas récompensés, ils seront moins vigilants au confinement, juste au moment où c’est le plus nécessaire.
3. Le compromis.
Les gens vont se lasser et perdre confiance dans l’efficacité du confinement, ce qui va les amener à flirter avec le compromis. Personne ne se sentira apaisé durablement en recevant un chèque de 1200$ du gouvernement fédéral. Avec 1 trillion $ par manche, les Fédéraux ne seront pas capables d’assurer ce tour de passe-passe beaucoup de fois. Début Mai, quand les gens seront presque à bout et auront atteint les limites de leurs capacités financières et psychologiques, ils commenceront à poser des questions plus percutantes. Aujourd’hui (le 22 mars), il y a un consensus tacite “nous pouvons tout sacrifier si cela veut dire sauver des millions de vies”. Dans les prochains 30 à 60 jours, il y aura un appétit grandissant pour trouver les modalités de capitulation face au virus. Voici comment cela va se passer.
A. “Vous voulez me faire croire que vous n’avez aucune idée du temps de confinement ?”
Quand le nombre de personnes contaminées va augmenter plutôt que diminuer, et que les leaders s’expriment sans certitude sur la durée de cette période difficile, l’idée du confinement va être de plus en plus érodée.
B. “Ce n’est pas ‘une fois pour toute ?”
Pour ne pas arranger les choses, les gens vont commencer à penser qu’ils ont été trompés. Ils vont découvrir que le confinement ne sert qu’à retarder les contaminations, pas à les réduire. Des réductions substantielles auront lieu quand la maladie pourra être parfaitement confinée (quelque chose que nous n’avons jamais réussi à faire avec nos virus ‘normaux’ récurrents) ou largement empêchée (grâce à un vaccin qui soit beaucoup plus efficace que le vaccin contre la grippe). A moins de trouver très vite un vaccin très efficace, les gens vont se rendre compte que même après avoir endigué cette épidémie, de nouvelles épidémies vont se déclarer chaque fois que nous commencerons à nous mélanger à nouveau. Avec chaque épidémie qui se déclare, notre motivation pour continuer les confinements, va diminuer. Cela en amènera beaucoup à la table des négociations.
C. “Un traitement, c’est presque comme une guérison !”
Si certains traitements moyennement efficaces sont trouvés, les personnes les plus instables économiquement et psychologiquement voteront pour cet ‘apaisement’. La disponibilité du traitement aidera ceux qui ne sont pas infectés à se sentir bien, alors qu’ils parlent ouvertement de faire courir un plus grand risque aux autres. Ils se justifient en disant que le traitement donne à ‘ces personnes’ une chance de s’en sortir. Avant la deuxième guerre mondiale, le Premier Ministre britannique, Neville Chamberlain, était prêt à laisser Hitler prendre l’Ethiopie, l’Autriche et un bout de la Tchécoslovaquie, si cela permettait à ses concitoyens de dormir sur leurs deux oreilles. Quand un sacrifice devient usant, beaucoup vont être fatigué de troquer la certitude d’une misère économique contre la possibilité approximative de décès de gens qu’ils ne connaissent pas.
D. “C’est la nouvelle normalité.”
Les gens peuvent s’habituer à tout. Nous nous habituerons à l’idée de perdre quelques millions de nos concitoyens. Nous le faisons déjà. Nous nous attendons à perdre 30 000 personnes chaque année, à cause des accidents de la route. C’est gravé dans notre conscience. Nous ne nous en soucions pas, nous ne nous lamentons pas. Nous n’entrons pas en mode de gestion de crise tous les ans, quand environ 40 000 personnes meurent du virus ‘normal’ de la grippe. Pourquoi ? Parce que nous avons accepté ceci comme un fait. Nous disons au virus “Reste sous la barre des 100 000, et nous te tolérerons”. Nous nous attendons à perdre quelques centaines de milliers de personnes à cause des maladies (cancer, maladie du cœur, crise cardiaque, etc.), ce nombre pourrait être drastiquement réduit si nous prenions des mesures draconiennes pour changer certains comportements. Mais nous avons accepté ces décès. Nous sommes profondément partagés sur la question des morts causés par les armes à feu. C’est devenu ‘normal’ de voir des dizaines de milliers de personnes mourir d’une overdose. Ainsi de suite. Joseph Stalin a dit une fois “Une mort est une tragédie. La mort de millions est une statistique.” Nous serons prêts à compromettre avec le virus quand nous aurons accepté un certain niveau de mortalité, comme étant une statistique normale.
Le résultat de toutes ces influences, en mai, va conduire certaines personnes à parler ouvertement et sans honte de compromis plutôt que de tragédie. De nouveaux calculs verront le jour sur le coût du confinement. Les vies qui seront potentiellement sauvées seront comparées au cumul de la misère, aux préoccupations de santé mentale, aux divorces, au désastre économique, aux conflits familiaux, aux crimes, aux morts non liées au Covid-19 (par exemple, à ceux qui ont des maladies chroniques et qui n’ont pas un traitement adéquat parce-que les cas de Covid-19 ont la priorité), etc. De nouvelles formules vont représenter la nouvelle ‘logique de négociation’, ce qui créera une polémique éthique, qui rendra discutable les concessions faites au virus. Nous entendrons des discussions sans réserve avec des questions telles que “Devons nous mettre le feu à la maison pour tuer les rats ? ” ou “Le traitement est-il pire que la maladie ?” Ces questions rendront moralement possible le fait de sortir de nos grottes et de conclure un accord avec le Covid-19.
Que faire
Il se peut que je me trompe d’un mois ou deux, mais je suppose que c’est assez proche du cycle que nous allons suivre. Mes recommandations sont basées sur deux hypothèses :
- Un vaccin miracle est encore loin de voir le jour (plus de six mois).
- Des traitements à l’efficacité limitée seront disponible dans les 60 prochains jours.
Si ces hypothèses sont correctes, vous devez vous préparer à un ‘Compromis’ dès maintenant. Voici ce que vous pouvez faire :
1. Soyez prêts à reprendre le chemin du travail pendant la pandémie.
Nous sortirons de nos grottes alors que le virus rôde encore. Les gens voudront retourner au travail et à leur vie mais avec une vigilance accrue. La nouvelle normalité sera de limiter les risques, pas d’éliminer les risques. Nous adopterons des changements permanents dans nos attitudes sociales, pour se saluer, se rencontrer, et vivre. Nous pourrions devoir abandonner de se serrer la main, s’embrasser ou de se faire la bise, au profit de révérences ou Namastés. C’est embêtant mais ce n’est pas une rançon insurmontable pour avoir une trêve.
Un compromis veut aussi dire que les collaborateurs et clients vont accepter un certain risque également. Votre devoir est de garantir qu’ils se sentent assez en sécurité dans votre façon de mener vos affaires, pour qu’ils tolèrent ce risque. Plus vite vous irez au-devant de ces changements, plus vite nous pourrons établir une nouvelle façon de vivre qui soit acceptable. Les entreprises qui basculent vers cette meilleure nouvelle normalité auront besoin de règles sociales puissantes et d’une culture de responsabilisation à 200%.
Les entreprises à succès vont développer des règles sociales adaptées au nouveau climat. Ils pratiqueront la distanciation sociale et mettront en place des habitudes rigoureuses pour l’hygiène. Par exemple, ils vont éloigner les bureaux et les espaces de travail de manière permanente, pour s’assurer du respect de la distance entre chacun. Les compagnies aériennes devront certainement fournir des masques et alterner les sièges occupés avec des sièges vides. Les leaders efficaces vont changer les schémas habituels des réunions pour s’appuyer sur le contact virtuel qui deviendra la norme, au lieu d’être un désagrément temporaire. L’incitation à l’hygiène et les produits nettoyants seront omniprésents. Et rien de tout cela ne fonctionnera sans une culture de responsabilisation à 200%.
La responsabilisation à 200% signifie que chaque collaborateur est responsable à 100% de suivre les règles, il est aussi responsable à 100% d’appliquer les règles avec toutes les personnes qui se trouvent autour de lui, quel que soit leur niveau ou leur position. L’autre jour j’étais sur un lieu de travail qui avait mis en place la distanciation sociale. Pourtant, en quelques minutes, j’ai vu de nombreuses violations à cette norme, des personnes debout à côté les unes des autres, se serrant la main, touchant le bras d’un collègue, etc. Je peux dire que les destinataires de ces gestes se sentaient mal à l’aise. Mais ils n’ont rien dit. Surtout si l’auteur du geste était plus haut placé qu’eux. Une responsabilité à 200% signifie que les collaborateurs devront être à même de confronter ces manquements aux nouvelles règles, à la minute où ils les remarquent. La vitesse à laquelle les règles changent est fonction de la vitesse à laquelle cela devient normal de confronter ces violations des nouvelles règles. La nouvelle règle sera prise au sérieux si cela devient normal de pointer du doigt les manquements à la règle, quelle que soit la position de la personne.
2. Les clients doivent se sentir en sécurité pour avancer avec vous.
La meilleure façon d’aider les gens à se sentir en sécurité est de rendre discutable ce qui est indiscutable. Vos clients hyper-vigilants sont déjà en train de penser aux risques. Alors mettez le sur la table à la première occasion, pour que ce soit le premier sujet discuté. Tout d’abord, dites aux clients ce que vous faites exactement pour limiter les risques de contamination dans votre entreprise. Faites des audits sur vos nouvelles règles et soyez honnêtes avec vos clients sur le résultat, qu’il soit positif ou plutôt négatif. En fin de compte, les clients ne vont pas vous faire confiance à moins d’être digne de confiance. Et la transparence est la base de la confiance.
Deuxièmement, donnez-leur des options. Les gens se sentent plus en sécurité quand ils ont des choix. Par exemple, votre entreprise a des agents commerciaux pour du porte-à-porte. Des propriétaires hyper-vigilants seront tout de suite mal à l’aise quand ils verront un étranger sur le pas de leur porte. Ils n’auront pas de place dans leur cerveau pour un argument de vente aussi longtemps qu’ils seront préoccupés par un risque d’infection. Une entreprise remédie à cela en demandant à ses commerciaux de mettre des gants en plastiques neufs devant chaque propriétaire. Chaque commercial arbore aussi un flacon de gel hydroalcoolique. Après s’être présenté, ils proposent de continuer la conversation sous le porche ou de prendre un RDV en virtuel, ou de continuer à l’intérieur avec une distance de sécurité. C’est surprenant de constater qu’en décrivant simplement leur préoccupation pour leur sécurité, et en offrant des choix, les commerciaux sont plus souvent invités à l’intérieur.
3. Décidez comment vous vous organiserez pendant la prochaine pandémie.
Les virus continuent de muter. Il y aura un Covid 20, 21 ou tout autre démon à l’avenir. Donc nous devrions considérer cette épidémie comme une répétition en vue de la prochaine fois. En fait, c’est une répétition assez bien venue. Si le taux de mortalité du Covid 19 serait de 1%, le prochain virus pourrait affecter 2% ou 5%, ou que le ciel nous en préserve, plus élevé encore. Le prochain fléau pourrait être dans un an, cinq ans ou dix ans. Mais acceptons la nature comme elle est : les virus continuent de muter.
Les virus évoluent par des mutations aléatoires. Les Humains évoluent, aussi. Mais en général, nous devons utiliser notre cerveau surdimensionné pour le faire. Nous devons le faire par choix, pas par mutation. Alors commençons. Saisissons ce moment comme une opportunité pour développer de nouveaux schémas de réponse, et pas seulement comme un inconvénient lié à un développement d’ADN. Si la prochaine menace biologique est aussi toxique, nous aurons besoin que les schémas de la vie et du business nous amènent de manière plus systématique au Compromis. Si nous n’adoptons pas une façon de vivre pour limiter les risques, alors éliminer les risques avec les coûts insoutenables que cela entraîne, sera encore notre seule alternative la prochaine fois.
Les crises arrivent toujours avec des opportunités intégrées. A partir de maintenant, il y aura de nouvelles règles pour travailler, aider, prendre soin et interagir. Les membres de ma famille sont plus proches maintenant, qu’il y a deux mois. Nous avons un “Grenny Gab” virtuel à 17h la plupart des jours. Je me sens plus impliqué dans la vie de mes enfants que jamais auparavant. Nous nous soucions plus des besoins de chacun. Nous sommes plus enclins à partager nos inquiétudes. Et nous sommes plus généreux pour aider ceux qui luttent.
Cette crise donne des opportunités similaires à toute la planète. C’est la première fois dans toute l’Histoire de l’humanité que nous sommes unis contre un mal commun. Nous avons une opportunité pour des coopérations futures puisque nous voyons que les frontières sont artificielles et que nous sommes une famille globale.
J’ai défendu ci-dessus que la nature humaine nous amène inévitablement vers un compromis terrible avec le virus, qui va nous emmener vers une nouvelle version de la normalité, au prix de quelques vies. Mais la vraie opportunité ne nous sera pas imposée. Elle va requérir des choix et du leadership.
Pour conclure
Si nous sommes avisés, nous profiterons de cette invitation de la nature pour être unis pour la première fois avec nos frères et sœurs du monde entier. Nous allons à partir de maintenant partager les informations de manière plus généreuse, mettre en commun les ressources, et intervenir partout de manière désintéressée. Pour paraphraser Martin Luther King, la leçon la plus précieuse que nous pouvons apprendre de cette situation c’est que “Si quelqu’un souffre quelque part, c’est une menace pour tout le monde partout”. Ne nous focalisons pas que sur le virus, concentrons-nous sur l’évolution que cela entraîne. Trouvons une meilleure façon d’être.
Par Joseph Grenny, Président, Co-fondateur de The Other Side Academy
Joseph Grenny est un scientifique, auteur de best-sellers et conférencier. Ses 30 ans de recherches en sciences sociales, l’ont amené à aider les dirigeants et entreprises à atteindre un niveau supérieur de performance. Il s’est particulièrement intéressé au comportement humain. Quelles sont les règles tacites écrites ou non-écrites qui façonnent les comportements des employés ?
22 Mars 2020